
WordPress : La contradiction du web soi-disant “vert”
On nous parle de sobriété numérique à longueur de journée. Moins de mails, moins de vidéos, moins de serveurs, moins d’énergie.
C'est vrai. Soyons sobre.
Mais pendant que les discours s’enchaînent et que les hébergeurs repeignent leurs datacenters en vert, le web continue de tourner sur des moteurs obèses.
Et le champion toutes catégories, c’est WordPress.
Le CMS star, celui qui alimente près de la moitié des sites dans le monde, est devenu le symbole d’une étrange contradiction : on veut un web responsable, mais on le construit sur une mécanique conçue pour tout faire… sauf être sobre.
À chaque clic, c’est un moteur thermique au gros diesel qui démarre. Pour afficher ce qui pourrait être une simple page statique c'est une centaine de fichiers PHP, une cinquantaine de requêtes SQL, quelques kilos de scripts JavaScript qui sont requis. Le tout pour servir quelques paragraphes de texte et trois images.
Un moteur de 300 chevaux fûmant et pétéradant qui tire péniblement un vélo !
Ce n’est pas une critique gratuite. WordPress a permis à des millions de personnes de créer des sites facilement, sans connaissances techniques, et c’est une belle réussite en termes d’accessibilité.
Mais en termes de sobriété ?
C’est une autre histoire.
La force de WordPress, c'est sa modularité. Mais elle est aussi sa faiblesse.
Chaque plugin, chaque thème, chaque ligne de code ajoutée devient une couche supplémentaire de complexité, un fichier de plus à charger, une requête de plus à exécuter, un petit watt de plus à consommer.
Individuellement, cela ne semble pas grand-chose.
Collectivement, c’est un gouffre énergétique invisible, dilué dans des milliards de requêtes quotidiennes.
Et quid de la sécurité ? Rions un peu.
Pendant ce temps, les développeurs sur mesure, les artisans du code, continuent d’optimiser leurs frameworks maison. Ils mesurent, ajustent, allègent. Ils taillent dans la masse pour ne garder que l’essentiel. Pendant qu’eux affinent le moteur, WordPress rajoute des couches d’extensions pour compenser son embonpoint.
Alors oui, on peut “verdir” un WordPress. On peut installer des plugins de cache, compresser les images, désactiver les scripts inutiles.
Mais soyons honnêtes : cela revient à poser un filtre à particules sur un vieux diesel.
Il pollue un peu moins, il fait moins de bruit, mais il reste ce qu’il est : un système conçu pour la facilité, pas pour la frugalité.
WordPress, ce n’était pas censé être si lourd…
À la base, WordPress, c’était simple. Un moteur de blog, léger, efficace, presque élégant.
Un petit script PHP qui écrivait dans une base MySQL, quelques fichiers de template, et le tour était joué.
C’était le temps où l’on pouvait ouvrir un site WordPress sur un serveur mutualisé à 5 € par mois sans faire tousser le CPU.
Une époque où le code tenait encore dans un dossier lisible, où l’on pouvait comprendre ce qui se passait en ouvrant le fichier index.php.
Puis est venue l’ambition.
On a voulu en faire un CMS universel, capable de tout gérer : vitrines, e-commerce, portfolios, intranets, API, et même des applications complètes. Et comme souvent, à vouloir tout faire, on finit par tout alourdir, complexifié et s"y perdre.
Le cœur de WordPress s’est épaissi, et autour de lui s’est construit un écosystème de thèmes et de plugins qui, au fil du temps, ont transformé le petit blog agile en paquebot modulaire.
Un WordPress moderne, c’est minimum entre 70 et 150 fichiers PHP exécutés à chaque page, des dizaines de hooks appelés en cascade, et une base de données qui ressemble plus à une brocante qu’à une architecture ordonnée.
Et tout ça pour générer, in fine, une page HTML d’à peine quelques kilo-octets.
L’autre problème, c’est cette illusion du “plugin magique”.
Besoin d’un carrousel ? Un plugin.
D’un formulaire ? Un plugin.
De Google Analytics ? Encore un plugin.
Résultat : chaque ajout, c’est un script de plus, une requête externe, un CSS chargé partout, même là où il n’a rien à faire. Et parfois, plusieurs plugins font la même chose… mais en moins bien.
L’utilisateur final ne voit pas la différence.
Le serveur, lui, la ressent à chaque requête.
Et que dire des constructeurs de pages tels que Elementor, Divi, WPBakery ?
Ces outils ont démocratisé la création web, certes. Mais ils génèrent un HTML obèse, saupoudré de div inutiles et de CSS inline à chaque ligne.
C’est un peu comme si on construisait une cabane de jardin avec les plans d’un gratte-ciel : ça tient, mais à quel coût ?
WordPress n’était pas censé devenir ça. Il est victime de son succès, prisonnier de son besoin de compatibilité avec tout et tout le monde.
Son moteur est devenu un mille-feuille de couches rétro-compatibles, de rustines et de fonctions héritées d’une autre ère.
Et pendant que le web avance vers des architectures plus sobres, WordPress continue de trimballer les valises d’un code écrit il y a quinze ans, au nom de la sacro-sainte promesse : “Que tout reste compatible.”
Le vrai coût caché : CPU, RAM et bande passante
La pollution numérique ne se voit pas. Elle ne fume pas, elle ne sent rien, et c’est justement ce qui la rend trompeuse.
On pense qu’un site web, c’est “virtuel”, donc léger par nature. Mais derrière chaque clic, il y a une infrastructure bien réelle : serveurs, disques, mémoire, processeurs, refroidissement, redondance, bande passante… bref, tout un écosystème matériel qui carbure pour qu’une page s’affiche en moins de deux secondes.
Et dans cette chaîne, WordPress est un gros consommateur. Un ogre au regard de ce qu'il produit.
Chaque requête qu’il reçoit déclenche un processus complet : le moteur PHP se réveille, lit des centaines de fichiers, interroge MySQL des dizaines de fois, charge des hooks, des classes, des dépendances, puis assemble tout ça en une page HTML avant de la livrer.
Pour un humain, ça dure une seconde. Pour la machine, c’est une avalanche d’instructions à exécuter.
Et multiplié par des milliers de visiteurs, cela devient une dépense énergétique invisible, mais bien réelle.
Un site web sous WordPress “classique”, sans cache, consomme entre 5 et 10 fois plus de ressources qu’un site statique équivalent bien pensé.
Même optimisé, il reste deux à trois fois plus gourmand qu’un site développé sur mesure.
Ce surcoût, c’est du CPU en plus, de la RAM en plus, des disques sollicités en continu et donc plus d’électricité consommée et plus de chaleur à dissiper dans les datacenters.
Mais ce n’est pas tout : la bande passante est aussi entre en jeu.
Les thèmes modernes sont visuellement séduisants, mais souvent d’une lourdeur consternante.
Des pages à 2 ou 3 Mo sont devenues la norme avec polices externes, bibliothèques JavaScript, trackers, sliders, vidéos d’arrière-plan et animations CSS à tout va.
Chaque visiteur télécharge l’équivalent d’un petit PDF juste pour lire un article de blog.
Et chaque octet qui transite, c’est de l’énergie consommée à la fois côté serveur et côté client.
Le plus ironique, c’est que tout cela se fait dans une indifférence polie, voire un peu tabou.
Et pourtant, si. WordPress pollue comme un paquebot.
On compense la lourdeur par des serveurs plus puissants, des CDN, du cache… bref, par toujours plus d’énergie.
C’est le cercle vicieux de l’abondance numérique : on ne réduit pas la dépense, on la déplace.
On met des serveurs un peu partout dans le monde pour “accélérer” des sites devenus lents à force d’être trop riches.
En réalité, WordPress n’est pas seulement un consommateur individuel : c’est un amplificateur collectif.
Des millions de petits sites “sans impact” qui, cumulés, représentent une masse colossale d’opérations informatiques répétées inutilement.
Et quand on sait qu’un simple serveur web consomme en moyenne 500 à 1 000 watts en continu, l’effet d’échelle devient vertigineux.
Le web ne fume pas, mais il chauffe.
Et WordPress, malgré ses qualités, en est devenu l’un des principaux radiateurs.
Les patchs qu’on appelle optimisationspéniblement
Face à ce constat, la réaction classique consiste à dire : “Oui, mais on peut optimiser WordPress.”
Et c’est vrai sur le papier.
On installe des plugins de cache, on compresse les images, on active un CDN, on minifie les scripts, on met les vidéos sur YouTube, on surveille les requêtes SQL, on nettoie la base de données…
Bref, on passe plus de temps à corriger les excès qu’à construire du contenu.
Ces outils sont utiles, bien sûr, mais ils ne règlent pas le fond du problème : ils le masquent.
Le moteur reste le même, il tourne juste un peu plus vite parce qu’on a bricolé autour.
C’est comme repeindre un vieux diesel, changer le filtre à air et dire qu’il est devenu “éco-responsable”.
Il pollue toujours et fume juste un peu moins.
Le cache, par exemple, c’est une rustine géniale sur un pneu crevé.
Il transforme un site dynamique en version semi-statique pour soulager le serveur.
Mais pourquoi générer dynamiquement quelque chose qui, 99 % du temps, ne change jamais ?
Le simple fait d’avoir besoin d’un plugin de cache est la preuve que la structure est inadaptée à la sobriété.
Même logique pour les CDN.
On déplace le contenu plus près des visiteurs pour réduire la latence. C'est excellent pour l’expérience utilisateur, certes.
Mais derrière, cela signifie multiplier les serveurs, répliquer les fichiers, alimenter plus de disques, faire tourner plus de machines.
On résout un problème local en multipliant les impacts globaux.
On ne consomme pas moins : on consomme ailleurs.
Et quand tout ça ne suffit pas, on ajoute un plugin d’optimisation “tout-en-un”.
Il compresse, minifie, combine, nettoie, compense.
Le web moderne passe son temps à installer des outils pour compenser la lourdeur d’autres outils.
Un mille-feuille numérique, où chaque couche sert à réparer celle du dessous.
À ce stade, le paradoxe devient presque comique : pour rendre WordPress plus écologique, on installe… encore plus de plugins.
Un remède qui alourdit le malade et le rend encore plus malade.
Allez, avouons-le : cette chose a été inventé par un polique français ? Non ?
On finit par oublier qu’un site peut simplement être léger par conception, sans artifice, sans plugin, sans cache, sans CDN.
Mais dans un monde où tout doit être rapide, compatible, extensible, responsive, SEO-friendly et compatible avec la prochaine mise à jour, la simplicité devient un luxe.
Optimiser WordPress, c’est comme mettre un pansement sur un éléphant radioactif : ça rassure le soigneur, pas la planète.
Vers un web plus sobre
Il ne s’agit pas ici de brûler WordPress sur la place publique.
Bien qu'à titre professionnel, je refuse tout conception avec ce CMS.
Pourtant, WP a rendu le web plus accessible, il a permis à des millions de petites structures, d’artistes, d’artisans, d’associations et d’entrepreneurs de se donner une présence en ligne à moindre frais.
Mais comme tout outil populaire, il faut aussi savoir reconnaître ses limites, surtout quand le contexte change.
Le monde numérique ne peut plus se permettre de fonctionner en mode “inconscient collectif”.
Chaque ligne de code exécutée, chaque requête superflue, chaque script externe chargé pour rien, c’est une dépense énergétique réelle.
Le web ne flotte pas dans les nuages : il s’exécute dans des salles remplies de serveurs qui chauffent, tournent, ventilent, 24 heures sur 24.
Et c’est là que la responsabilité du développeur ou du créateur prend tout son sens.
Construire un site sobre, c’est repenser la hiérarchie des besoins.
Ce n’est pas renoncer au beau, ni à la technologie, ni à la performance.
C’est juste remettre le sens avant la facilité.
C’est se demander : “Ai-je vraiment besoin de 15 plugins pour faire ce que 3 lignes de code pourraient accomplir ?”
C’est privilégier la légèreté à la surenchère, la maîtrise au tout-prêt, la qualité au confort.
Le web sur-mesure n’a jamais disparu. Il s’est simplement fait discret, éclipsé par la standardisation.
Mais c’est lui, paradoxalement, qui incarne le mieux la sobriété numérique.
Des sites pensés pour durer, écrits proprement, hébergés sur des serveurs calibrés, sans dépendances inutiles.
Des projets faits pour exister, pas pour être remplacés tous les deux ans par une refonte à la mode.
Alors oui, WordPress restera le “gros diesel qui pue du web moderne”.
Mais le rôle des codeurs, c’est de montrer qu’il existe d’autres véhicules : plus légers, plus sobres, plus efficace et plus humains.
Des sites conçus comme des vélos bien réglés qui avancent avec élégance, sans bruit, sans gaspillage.
Des sites qui font ce qu’ils ont à faire, et qui le font bien.
La sobriété numérique n’est pas un retour en arrière : c’est une avancée ver le bon sens.
Il y a, là, de la place pour tous ceux qui aiment encore l’idée d’un web maîtrisé, intelligent et propre jusque dans ses lignes de code.
Le web de demain ne sera pas plus rapide, il sera plus juste.
Et peut-être, enfin, un peu moins bavard.
Weblandes tente d'y contribuer.
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